Comprendre la variation de la réponse à une infection

Dans un article du journal eLife sorti le 12 Octobre 2017, David Duneau (EDB) et Jean-Baptiste Ferdy (EDB) étudient pourquoi des individus génétiquement identiques et partageant le même environnement survivent pourtant différemment à une infection. A l’aide d’une approche multidisciplinaire mêlant infections expérimentales, génétique fonctionnelle et outils mathématiques, ils ont étudié la dynamique bactérienne au cours de l’infection de mouches Drosophila et ont montré que le hasard, ou plus exactement de petits évènements non contrôlés, peuvent influencer grandement la probabilité de résister et survivre à une infection.

Nous savons depuis longtemps que nous ne sommes pas égaux face aux maladies. Plus généralement, les hôtes de pathogènes, selon leur caractéristiques génétiques ou la qualité de leur alimentation, peuvent être plus ou moins résistants. Dans de nombreux cas, cependant, des individus résistent à une infection alors que d'autres individus identiques génétiquement (e.g. des jumeaux) et partageant le même environnement meurent. Dans leur travaux, Duneau et al. montrent que des variations mineures (e.g. avoir mangé ou dormi avant l’infection), qui peuvent être considérées comme aléatoires, peuvent influencer la façon dont le système immunitaire d'un individu interagit avec l'infection, affectant potentiellement le rétablissement.

Deux trajectoires d’infection

Duneau et al. ont étudié comment des mouches du vinaigre (Drosophila melanogaster) génétiquement identiques et élevées dans le même environnement de laboratoire réagissent à différentes infections bactériennes. Afin d’en apprendre plus sur la prolifération des bactéries dans l’hôte, les chercheurs ont injecté des suspensions bactériennes dans 136 mouches, et ont prélevé et analysé 8 mouches toutes les heures partant du moment de l’injection jusqu’à 16 heures plus tard. Les mouches étant similaires et ayant reçu un inoculum de la même culture bactérienne, chaque échantillon de huit mouches prélevées donne un aperçu de l’infection à un instant donné. Ce type d'expérience permet de suivre l’évolution moyenne d'une infection heure par heure.

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© David Duneau

Partant de ces données les chercheurs ont développé un modèle mathématique permettant de décrire trois phases dans l'infection. Dans une phase initiale, les bactéries prolifèrent librement dans l’hôte comme dans un milieu in vitro. Lors d’une seconde phase, dite de résolution [du conflit], si les défenses immunitaires s'activent à temps, le nombre de bactéries dans la mouche diminue et se stabilise, l'infection entre alors dans une phase chronique. En revanche, si lors de la phase de résolution l’hôte ne contrôle pas la croissance bactérienne avant que la densité n’atteigne un certain seuil, appelé « tipping point », l’infection entre en phase terminale, une phase où la mort de l’hôte est désormais certaine. Le modèle ajusté sur les données expérimentales permet de prédire pour une infection donnée la probabilité qu'un hôte contrôle l'infection et puisse ainsi y survivre.

« Time to control »

Le modèle révèle aussi que le moment précis auquel le système immunitaire de l’hôte prend le contrôle de la population bactérienne – nommé « Time to control » - est le déterminant principal de la probabilité de survie à l'infection. Puisque qu’une différence de contrôle de quelques heures suffit à faire la différence entre survie et mort, ce travail permet de prédire qu’il existe probablement dans la nature une très forte pression de sélection pour contrôler le plus rapidement possible la prolifération bactérienne. Cependant, à l'inverse, les réponses trop fortes ou trop rapides engendrent généralement des maladies auto-immunes même en absence d’infection. Les auteurs proposent que le compromis qui résulte de ces deux effets contraires soit probablement à l’origine de l’évolution de la réponse immunitaire acquise chez les vertébrés, un système à la base de tout vaccin où le système immunitaire apprend afin de répondre plus rapidement à l’infection mais de façon ciblée et contrôlée.

Comprendre les mécanismes contrôlant la variation des symptômes entre individus est la clé de toutes médecine personnalisée. Duneau et al. montrent que des actions apparemment anodines, souvent considérés comme faisant partie du « bruit »  dans des expériences, mais qui se sont produites au moment de l'infection, ont des effets majeurs sur la gravité des symptômes. Ceci représente à la fois une découverte importante pour la compréhension des maladies mais également un défi majeur pour déterminer quelles sont les meilleurs traitements personnalisés.

Une histoire TULIP

Docteur en parasitologie évolutive de l'Université de Bâle (Suisse) sous la direction de Dieter Ebert, David Duneau a ensuite rejoint le laboratoire de Brian Lazzaro à l’université de Cornell (USA). Grâce à sa collaboration avec B. Lazzaro ainsi qu’avec le laboratoire de génétique fonctionnelle de Nicolas Buchon (Cornell, USA), il a alors appris à utiliser le puissant modèle de génétique qu’est Drosophila melanogaster pour étudier l’évolution des relations hôte-parasites. Intégré au laboratoire Evolution et Diversité Biologique (EDB) grâce à une bourse postdoc TULIP « Young Scientist for the future », il a développé une recherche à l’interface entre biologie moléculaire et évolution, en parfaite adéquation avec la philosophie TULIP dont la vocation est de mêler biologie intégrative et écologie. En intégrant l’environnement collaboratif d’EDB, David a pu accrocher à son arc la corde qui lui manquait en travaillant avec Jean-Baptiste Ferdy pour la modélisation mathématique et statistique. Grâce à cette histoire typiquement TULIP, David a pu démontrer que c'est un mécanisme réduisant le temps de contrôle de prolifération bactérienne dans les premières heures après l'infection qui explique la variation des conséquences en termes de survie.

Voir aussi

David Duneau, Jean-Baptiste Ferdy, Jonathan Revah, Hannah Kondolf, Gerardo A Ortiz, Brian P Lazzaro, Nicolas Buchon. Stochastic variation in the initial phase of bacterial infection predicts the probability of survival in D. melanogaster.  eLife (2017) DOI:10.7554/eLife.28298

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 08 décembre 2017 | Rédaction : David Duneau, Jean-Baptiste Ferdy & Guillaume Cassiède-Berjon