La génomique revitalise les collections des muséums

Les muséums d’histoire naturelle jouent un rôle majeur dans l’inventaire de la biodiversité. Depuis les premiers travaux de Linné, il y a environ 300 ans, ils ont ainsi accumulé des millions de spécimens. Aujourd’hui, bien qu’elles recèlent des espèces très rares voire éteintes, ces collections sont souvent sous-estimées. Mais que d’échantillons morts et récoltés il y a plusieurs dizaines ou centaines d’années, si ce n’est une approche basée sur des caractères morphologiques ? Des chercheurs du laboratoire EBD (CNRS/ UPS) ont eu l’idée de tester une technologie de séquençage à haut débit sur une espèce de graminée malgache éteinte et collectée il y a 100 ans. A l’aide du génome d’une de ses proches cousines, les chercheurs sont parvenus à reconstituer le génome d’une espèce pourtant éteinte… ouvrant des perspectives à de vieux rêves.

Avant cette étude, il était connu que Sartidia est le genre frère de Stipagrostis, une lignée de graminées qui est caractéristique des milieux semi-désertiques d’Afrique et d’Asie. L’ancêtre de Stipagrostis a acquis la photosynthèse C4, caractéristique des milieux ouverts tels que les savanes, contrairement à Sartidia qui est resté en C3. La compréhension des bases moléculaires de l’évolution multiple du caractère C4 est actuellement un enjeu majeur car il pourrait permettre d’améliorer la capacité des plantes d’intérêt pour l’homme à croître dans des milieux chauds et arides. Les comparaisons de lignées sœurs C3 et C4 permettent de mettre en évidence les changements parallèles qui se sont opérés lors de l’évolution multiple de la photosynthèse C4. Or, Sartidia est très rare et du matériel frais de ce genre n'avait jamais pu être collecté pour ce type d'analyse.
Sartidia perrieri, a été observée et collectée une seule fois en Janvier 1914 aux environs d’Antsirabe (Madagascar), et l’espèce est probablement éteinte car son milieu a été fortement impacté par l’augmentation constante des activités humaines dans cette région, en particulier du fait de l’utilisation du feu pour permettre la régénération des pâtures pour le bétail. L’échantillon d’herbier n’est pas spécialement bien conservé mais de l’ADN très dégradé a pu être extrait d’une graine. Il est quasiment impossible d’analyser l’ADN d’un tel échantillon avec les technologies classiques basées sur la PCR (Polymerase Chain Reaction). Pourtant, une méthode de séquençage à très haut débit a permis de reconstruire des séquences de bonne qualité du génome chloroplastique, de l’ADN ribosomique mais aussi des séquences orthologues de gènes impliqués dans la photosynthèse C4 chez Stipagrostis. Ces données génomiques ont permis de retracer l’histoire de Sartidia et de révéler des changements dans la séquence de deux gènes en relation avec l’évolution du caractère photosynthétique C4 chez Stipagrostis.

Ces résultats démontrent que les collections des musées et des herbiers ne sont pas juste des objets historiques poussiéreux mais représentent une ressource considérable pour répondre aux questions scientifiques modernes. Les technologies de séquençage haut débit apporteront une nouvelle vie à ces spécimens de musée en ouvrant l’ère de la « Muséomique ». Intégrer une analyse moléculaire de spécimen d’espèces disparues aidera à reconstruire les histoires biogéographiques des espèces, voire même à documenter des processus d’adaptation comme c’est le cas ici.

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 09 décembre 2014 | Rédaction : M.Aizpuru / G.Esteve