A.Thaliana

Duel plantes / agresseurs : quand les voisins s’en mêlent

Soumises à des pressions de sélections réciproques, les plantes et les agents pathogènes qui leur sont associés se livrent à une course à l’armement. Chaque nouvelle stratégie offensive déployée par un virus ou une bactérie finit en effet par trouver son pendant défensif chez l’espèce végétale concernée. Cette « règle » vient cependant d’être contredite par une observation des plus étranges : chez une espèce végétale des plus banales, un gène de résistance à l’encontre d’un agent pathogène est maintenu depuis des millions d’années dans la nature… alors que cet agent est quasiment absent de toutes les plantes de l’espèce concernée… En résolvant cette énigme, les travaux de chercheurs impliquant le LIPM (INRA/CNRS), mènent à un point de vue riche en enseignements.

La théorie de la course aux armements

Tout nouveau mécanisme d’attaque développé par un agent pathogène s’accompagne rapidement par l’émergence d’un mécanisme de défense idoine chez la plante. On qualifie cette compétition de « course aux armements » car l’avantage conféré par une nouvelle arme ou par son pendant antagoniste chez la plante confère un précieux avantage à l’individu qui en sera doté en premier. A l’échelle des populations, on assiste donc à l’émergence successive de populations d’envahisseurs dotés d’une nouvelle arme puis, toujours par pression de sélection, de populations de plantes résistantes à cette dernière.

L’observation qui dénote…

Travaillant sur des populations naturelles d’Arabidopsis thaliana, une plante extrêmement répandue à travers le monde et un de ses pathogènes attitrés, la bactérie Pseudomonas syringae, les chercheurs ont remarqué un décalage extrêmement fort : alors que près de 50% des plantes possèdent le gène de résistance à son encontre,seulement 2% de ces bactéries sont dotés du système capable de détourner ce mécanisme de résistance... Qui plus est, cette résistance à un « coût » élevé : les ressources requises pour la produire représentent entre 5 à 10% de la production totale de graines de la plante. Devant cette « incohérence », pensant d’abord que cette  défense pouvait être apparue récemment, les chercheurs se sont penchés sur l’ancienneté du gène codant pour cette résistance, pour constater au final qu’il datait de 2.6 millions d’années… La synchronisation entre les populations de plantes résistantes et de bactéries était donc à l’équilibre depuis longtemps. Dans ce cas, pourquoi maintenir au sein d’une espèce végétale un système de défense si coûteux alors que les attaques sont si rares ?  

…pour mener au changement d’échelle

Les chercheurs ont alors privilégié une autre piste. La théorie générale ne prend pas en compte un aspect essentiel : les plantes et leurs micro-organismes évoluent non pas dans un éternel face à face,  isolés des autres espèces, mais en tant que membres de communautés interagissant sans cesse avec d’autres plantes et d’autres micro-organismes au sein d’environnements changeants. Les chercheurs ont mis en évidence qu'outre A. thaliana la bactérie infecte de nombreuses  autres plantes, et qu’elle va et qu’elle va même jusqu’à faire preuve d’une plus grande affinité pour ces espèces tierces. Dans le cas d’épidémie sur A. thaliana issue d’une autre espèce, les chercheurs ont montré par des modèles que l’avantage d’une résistance représente un atout tel qu’il couvrirait largement le coût lié à son déploiement durant les années sans épidémies.

Ce qui est ainsi pointé du doigt, c’est que la théorie de la course aux armements, souvent considérée comme un moteur essentiel de l’évolution de ces espèces, n'est pas une règle universelle. Les chercheurs mettent ainsi en évidence un autre concept, plus large car non plus établi à l’échelle des espèces, briques des écosystèmes, mais à celle de communautés elles-mêmes intriquées dans leurs réseaux d’interactions respectifs.

Bien que cette avancée constitue un élément essentiel pour la compréhension d’un mécanisme fondamental, elle a aussi une conséquence directe : l’importance en agriculture de considérer les interactions non plus seulement entre le couple culture végétale / agents pathogènes mais entre les nombreuses espèces présentes au sein d’un agro-écosystème. Le développement d’une agronomie adaptée impliquerait donc de considérer un plus grand nombre d’espèces ou du moins de variantes génétiques au sein d’une seule et même parcelle...

Voir aussi

Références de la publication :

  • Nature letter (512, 436–440) T. L. Karasov, J. M. Kniskern, L. Gao, B. J. DeYoung, J. Ding1, U. Dubiella, R. O. Lastra, S. Nallu, F. Roux, R. W. Innes, L. G. Barrett, R. R. Hudson & J. Bergelson

Contact chercheurs :

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 03 février 2015 | Rédaction : Gaël Esteve