L’analyse de données de milliers d’études suggère que tous les systèmes vivants suivent la même loi de croissance

Un article publié dans PNAS par une équipe impliquant Michel Loreau, co-auteur de l’étude et directeur de la Station d’Ecologie Théorique et Expérimentale (UMR CNRS/UT3), rassemble les données de plusieurs milliers d’études pour montrer que malgré la diversité infinie de la vie, bon nombre des caractéristiques les plus importantes des espèces respectent des lois universelles.

Où que l'on pose le regard, la diversité de la vie est impressionnante. Mais si les biologistes ont tendance à se concentrer sur la multitude des formes et modes de vie des espèces, ce qui unit les espèces peut parfois être plus intéressant que ce qui les distingue. À l’ère du « Big Data », nous pouvons maintenant voir cette diversité dans sa totalité, pour rechercher des propriétés universelles communes à toutes les organismes, grands et petits.

Les lois d’échelle reliant les principales caractéristiques démographiques et fonctionnelles des espèces à leur masse corporelle comptent parmi les patrons quantitatifs les plus universels en biologie. A l’intérieur des grands groupes taxonomiques du vivant, les quatre variables écologiques clés que sont le métabolisme, l’abondance, la croissance et la mortalité sont souvent liées à la masse corporelle par une loi de puissance dont l’exposant est de l'ordre de ¾. Les principales théories existantes attribuent cette relation à des contraintes biophysiques sur le métabolisme. Mais ces théories restent controversées, et les liens entre les quatre variables n’avaient jamais été étudiés de façon systématique sur l’ensemble du vivant.

Des chercheurs de l'Université autonome de Barcelone et de la Station d’écologie Théorique et Expérimentale (CNRS/Univ Toulouse Paul Sabatier) ont rassemblé les données de plusieurs milliers d’études portant sur l’ensemble du vivant. Les résultats de leurs travaux confirment que, malgré la très grande diversité du vivant, bon nombre des caractéristiques les plus importantes des espèces suivent des lois universelles qui les lient à leur masse corporelle, du protiste le plus petit à la baleine bleue. « Ces relations simples sont étonnamment fortes et révèlent des liens inattendus entre traits qui n’avaient pas été pleinement appréciés auparavant » explique Ian Hatton, l'auteur principal de l'étude, actuellement chercheur à l'Université autonome de Barcelone.

S’ils viennent confirmer et généraliser des lois universelles qui avaient déjà été démontrées ou pressenties par le passé, les résultats de cette étude remettent en cause radicalement l’une des théories les plus éminentes de l’écologie, connue sous le nom de « Théorie Métabolique de l’Écologie ». Cette théorie a fourni aux écologues l’un des cadres les plus importants pour comprendre les liens unissant les principales caractéristiques démographiques et fonctionnelles à leur masse corporelle. Elle part de l’idée que le taux métabolique d’un organisme est la principale limite de nombreux autres traits essentiels, y compris la rapidité avec laquelle l’organisme peut croître et se développer.

« L’une de nos principales conclusions est que le taux de croissance d'un organisme semble contrôler le métabolisme, et non l’inverse. », explique Michel Loreau, co-auteur de l’étude « Notre étude met la croissance au centre des contraintes biologiques qui gouvernent les patrons de la vie à grande échelle. »

Étant donné que la croissance est à la base de tous les processus biologiques et écologiques, depuis le développement ontogénique jusqu'au cancer, en passant par la production des ressources et le cycle mondial du carbone, la compréhension des facteurs qui déterminent la croissance des systèmes vivants pourrait s'avérer très importante.

« Ce qui est étonnant, c'est que peu importe où vous regardez, peu importe le type de système vivant que vous considérez, tout semble suivre la même loi de croissance », dit Ian Hatton. « Nous ne pouvons pas encore tout expliquer, mais nous pouvons anticiper que ceci a des implications très importantes. » Un article qui, tout en inversant les questionnements sur la relation entre différentes caractéristiques premières du vivant, offre donc une nouvelle perspective sur les caractéristiques les plus fondamentales de la vie et sur l’extraordinaire unité qui imprègne la diversité de la vie.

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Pour en savoir plus :

Hatton I, Dobson A, Storch D, Galbraith E, Loreau M. Linking scaling laws across eukaryotes. PNAS, www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1900492116

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 22 novembre 2019 | Rédaction : Michel Loreau & Dalila Booth