J.Chave

J.Chave, Coordonnateur du LabEx CEBA: un projet au-delà de l'Ecologie

Jérôme Chave, coordonnateur du LabEx CEBA, accorde à l'occasion d'une interview sa vision d'un projet scientifique d'envergure. L'occasion de faire le point sur ce projet qui, comme TULIP, vise à promouvoir, au-delà de l'excellence scientifique, un décloisonnement des sciences. En effet, même si CEBA est ancré dans l'Ecologie et aborde plus particulièrement la biodiversité guyanaise, J. Chave tient à jeter les fondations de ponts pouvant relier de grandes disciplines telles que médecine, géologie...

LabEx TULIP : Quel a été votre parcours ?

Logo CEBA

Jérôme Chave : J’ai fait une thèse en physique et ne me suis intéressé à l’Ecologie qu’à la fin de ma thèse. J’ai eu l’opportunité d’aller en forêt tropicale avec mon directeur de thèse. Nous pensions naïvement pouvoir modéliser ce système avec les outils des physiciens mais cette ambition a dû vite être réduite… Par contre, j’ai pris le virus de l’écologie ! Tout comme le pan de la physique sur lequel je travaillais, l’écologie est l’étude de systèmes complexes, c’est-à-dire de systèmes ou les unités sont fortement corrélées. Comprendre le fonctionnement d’une unité, que ce soit une cellule dans un organisme ou un gène dans un génome ne suffit pas à le comprendre dans sa globalité. Aussi, après un post-doc aux Etats-Unis, j’ai soumis au CNRS un projet sur le fonctionnement et l’étude de la biodiversité des forêts tropicales. J’ai ainsi eu l’occasion d’apporter une approche mathématisée qui n’était pas encore très présente dans ce domaine.

LT.: Comme pour le LabEx TULIP, décloisonner les sciences est-il un dénominateur de CEBA ?
J.-C. : On gagne beaucoup à décloisonner mais il faut aussi consolider chaque discipline. Dans le projet TULIP, où on parle de théorie des interactions, et même si les théories peuvent rester verbales, la mathématisation d’une théorie est une étape importante. Le langage mathématique est universel et permet d’aller plus loin. C’est un raisonnement logique qui amène des conclusions. C’est d’ailleurs une grande force pour la France, un des leaders dans le domaine des mathématiques.

Pachycondyla-dianae-sur-Cecropia-hispidissima-©-Jérôme-Orivel

LT.: Pourquoi un ancrage du CEBA en Guyane française ?
J.-C. : La Guyane est facile d’accès depuis la métropole et bénéficie d’excellentes infrastructures. C’est donc un laboratoire à ciel ouvert pour l’étude des forêts tropicales. Derrière cette forêt tropicale que l’on voit comme un couvert verdoyant uniforme, se cache en réalité tout un ensemble de types de forêts …  Historiquement, l’une des forces de la Guyane, hormis l’ingénierie en lien avec le Centre Spatial Guyanais, est aussi la médecine tropicale. Lors de la mise en place du CEBA, nous avons pris ce point en compte. Finalement, le CNRS s’y est installé et depuis 2007, je suis le directeur scientifique de la Station de Recherche en Ecologie des Nouragues, gérée par le CNRS-Guyane.

LT.: Cette station est-elle un outil majeur du CEBA ?
J.-C. : Ce n’est que l’un des outils du CEBA. Les Nouragues, c’est un grand équipement au même titre que la Station d’Ecologie Expérimentale de Moulis. L’année dernière nous avons accueilli 4000 personnes et les publications en résultant ont été nombreuses. Nous avons réorienté les objectifs scientifiques de cette station : des chercheurs qui n’auraient jamais pensé aller en forêt tropicale ont eu l’opportunité de développer leur projet. Nous avons ainsi financé des projets de recherche permettant la venue de chercheurs aux Nouragues plutôt qu’ailleurs. Le pilotage de cette station a été un élément important dans la maturation du projet CEBA.

LT.: Vous parlez beaucoup d’interdisciplinarité mais comment impliquez-vous des personnes d’autres disciplines que la vôtre ?
J.-C. : Le CEBA implique des écologues, des généticiens des populations, des épidémiologistes, des chimistes des substances naturelles, des ethnologues et des politistes. L’ensemble de ces disciplines de recherche partage un intérêt pour l’étude de la biodiversité et contribuent au CEBA en suivant ce fil rouge. Je regrette d’ailleurs qu’il manque d’économistes, car c’est une composante en émergence dans le projet. Plus généralement, la Guyane et sa biodiversité offrent des sources d’inspiration inégalées et c’est ce dont on a besoin quand on fait de la science. Un exemple : un des projets que nous avons financé aux Nouragues a été envoyé par une des spécialistes mondiale de C. elegans, organisme aussi connu en biologie que la drosophile. Elle est venue pour découvrir son espèce sœur à l’état sauvage. En janvier 2013, ils ont publié un article montrant que les Nouragues sont le site présentant la plus forte diversité mondiale dans ce genre de nématodes ! Je souhaite que le LabEx CEBA soit ouvert à l’extérieur, raison pour laquelle nos appels à projets le sont. Aussi, j’espère que des chercheurs du LabEx TULIP ou d’autres LabEx y répondront. Si les gens ont l’idée de bâtir des ponts autour de la thématique de la biodiversité amazonienne, le LabEx CEBA est là pour les y aider. Ce LabEx permet aussi d’identifier la science de la biodiversité en Guyane de manière plus claire, avec un réseau d’interactions construit et opérationnel.

Jérôme Chave est Coordonnateur du LabEx CEBA (Centre d’Etude de la Biodiversité Amazonienne) & directeur de recherche au CNRS

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 11 février 2013 | Rédaction : GE