Contrôle spatio-temporel de la fixation de l’azote au cours de la symbiose rhizobium-légumineuse : rôle dans la propagation du caractère mutualiste

L’étude expérimentale et la modélisation de la dynamique des populations bactériennes symbiotiques de légumineuses menée par des membres du LIPM et publiée le 12 Octobre 2017 dans la revue eLife montre que des rares variants fixateurs d’azote envahissent progressivement une population originellement non fixatrice au cours des cycles infectieux, dans des conditions écologiques appropriées.

Les rhizobiums sont des bactéries du sol capables de former une symbiose avec les légumineuses. Ces bactéries induisent la formation de nouveaux organes racinaires, les nodules, qu'elles colonisent massivement pendant un certain temps avant d’être libérées dans le sol. Dans les interactions compatibles, les bactéries intracellulaires fixent l'azote atmosphérique au profit de la plante, convertissant la symbiose en mutualisme.

Au cours de l'évolution, des gènes essentiels pour la nodulation (la formation des nodules) et la fixation de l'azote se sont propagés à diverses bactéries du sol, leur conférant un certain degré d’aptitude symbiotique en fonction du génome du receveur. Les caractères symbiotiques acquis par transfert génétique ont ensuite été améliorés sous la pression de la sélection des plantes.

La colonisation des nodules racinaires et la fixation de l’azote n’étant pas liées génétiquement, des rhizobiums peuvent coloniser des plantes sans que celles-ci en retirent un quelconque avantage. L'émergence du mutualisme, résultant du transfert de modules symbiotiques dans des populations bactériennes originellement non symbiotiques, et son maintien au cours de l’évolution suggèrent que les souches non bénéfiques (qui ne fixent pas l'azote) sont contre-sélectionnées (« sanctionnées »).

Où et quand sont sanctionnées les bactéries incapables de fixer l’azote ?

Dans cette étude, l’équipe « Fonctions symbiotiques, génome et évolution des rhizobia » du LIPM s’est appliquée à déterminer où et quand au cours du processus infectieux étaient « sanctionnées » les bactéries incapables de fixer l’azote. En particulier, les plantes peuvent-elles discriminer les fixateurs et les non fixateurs au sein d’un même nodule ? Si des variants fixateurs d’azote émergent dans une population, ce caractère va-t-il se propager sous la pression de sélection de la plante et dans quelles conditions?

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Coupe de nodule de Mimosa pudica co-infecté avec des bactéries fixatrices d'azote (vert) et non-fixatrices d'azote (rouge) du symbiote Cupriavidus taiwanensis. ©Marchetti Marta

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont suivi le nombre et la viabilité de deux sous-populations (Fix+ et Fix-) d'une même population bactérienne (Cupriavidus taiwanensis) ne différant que par la présence d'un système de fixation fonctionnel de l'azote, au cours de leur interaction symbiotique avec Mimosa pudica. Ils constatent que les Fix+ et Fix- entrent et se multiplient de façon similaire pendant les premiers jours, mais que les Fix+ surclassent progressivement les Fix- au cours du processus infectieux. De 19 à 20 jours après l'inoculation, les bactéries Fix- et les cellules du nodule qui les hébergent dégénèrent spécifiquement, indiquant que le contrôle de la fixation de l'azote se produit au stade post-infectieux et au niveau de la cellule du nodule.

La modélisation mathématique de la dynamique des populations mutualistes et non mutualistes, et leur validation expérimentale, a ensuite permis de montrer que de rares variants Fix+ envahissent une population au départ Fix- , au cours de cycles infectieux répétés et dans des conditions favorables. Ces conditions sont fonction de l'inoculum initial, de la taille de la population végétale et de la longueur du cycle de nodulation.

Ce travail permet de mieux comprendre l’évolution du mutualisme dans les populations de symbiotes de légumineuses, son maintien et sa propagation.

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 10 janvier 2018 | Rédaction : Catherine Masson & Guillaume Cassiède-Berjon