Reconstruire l'évolution des traits dans les études d'évo-développement des plantes

Dans cet article publié en fin 2019 dans le journal Current Biology, des chercheurs du Laboratoire de Recherche en Sciences Végétales (UMR Université de Toulouse/CNRS/UPS) et de la Station d’Écologie Théorique et Expérimentale (UMR CNRS/UPS) proposent un guide destiné aux utilisateurs d'approches comparatives visant à comprendre la diversité des plantes.

Notre planète regorge d'une incroyable diversité de plantes (voir figure ci-dessous) qui peut être observée au sein même d’un seul groupe d'espèces étroitement apparentées, que ce soit dans leur forme et leur fonction. La couleur des pétales chez les plantes à fleurs, la forme des frondes chez les fougères ou bien encore le motif de ramification chez les mousses sont des caractères très variables dans chacun de ces groupes de végétaux. Une telle diversité peut également être trouvée pour des traits plus subtils, tels que la résistance aux agents pathogènes ou la capacité à recruter des microbes symbiotiques dans l'environnement.

D’un autre côté, certaines caractéristiques des plantes sont très conservées. Ainsi, aux niveaux cellulaire et métabolique, des voies de biosynthèse entières peuvent se retrouver dans tous les groupes de plantes, des mousses jusqu’aux plantes à fleurs. Il en est de même pour des caractéristiques morphologiques telles que les tissus vasculaires, qui sont apparus très tôt dans l ‘évolution des plantes il y a plusieurs  centaines de millions d'années.

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De gauche à droite. Tige et feuilles de l’angiosperme Medicago truncatula, sporophyte de la fougère Pteris vittata et gamétophyte de l’hépatique Marchantia paleacea.

La communauté scientifique qui cherche à comprendre les traits de vie des plantes en adoptant un point de vue évolutif se développe en biologie végétale. Les auteurs de cet article résument un sous-ensemble des différents aspects de la biologie évolutive des plantes. Ils commencent par mettre en évidence l'importance de tirer des conclusions basées sur des phylogénies d'espèces reconstruites avec précision. Puis, ils fournissent un guide en cinq étapes pour structurer les approches de biologie comparative en évo-dévo.  

En préambule, les auteurs rappellent l’importance de certains concepts fondamentaux en évolution : toutes les espèces qui nous entourent aujourd’hui sont autant « évoluées » les unes que les autres. De ce fait, la meilleure façon de procéder est d’appeler un groupe taxonomique par son nom (plantes à fleurs, mousse, fougère), et de ne pas utiliser d’adjectif de valeur comme « primitif », « supérieur » ou « inférieur ».

Étape 1: inférer l'évolution des traits

Toute étude sur l'évolution des traits (forme ou fonction) doit commencer par définir précisément le trait d'intérêt. L'objectif de la première étape est donc de déduire l'évolution des caractères, en s'appuyant principalement sur les espèces existantes. Les fossiles ne sont pas essentiels mais, lorsqu'ils sont disponibles, améliorent fortement ces inférences.

Étape 2: reconstruire l'évolution des gènes associés au trait d'intérêt

L'objectif de la deuxième étape est, une fois qu'un gène d'intérêt a été identifié, de reconstruire l'histoire évolutive de ce gène sur la base d'une analyse phylogénétique, en utilisant les vastes bases de données de séquences. En fin de compte, les comparaisons entre les phylogénies des espèces et les phylogénies des gènes permettent la corrélation du génotype et du phénotype et la formulation d'hypothèses. Il est prudent de noter que tester de telles hypothèses qui reposent sur des prédictions corrélatives nécessite une validation fonctionnelle, ce qui est exploré dans les deux prochaines étapes.

Étape 3: déterminer l'évolution des propriétés biochimiques

Dans la troisième étape, les auteurs suggèrent d'étudier l'évolution des propriétés biochimiques des protéines codées par les gènes d’intérêt, en effectuant des tests de complémentation inter-espèces de mutants avec des orthologues de plusieurs clades de plantes. Ainsi, si par exemple un gène d’une fougère est capable de restaurer les traits morphologiques affectés chez un mutant d’une plante à fleur, alors il peut être conclu que les fonctions biochimiques importantes pour ce trait sont conservées entre les plantes à fleur et les fougères.

Étape 4: déterminer l’évolution du rôle biologique d’un gène

Les propriétés biochimiques conservées d'une protéine ne signifient pas que son rôle biologique lui-même est conservé. Le test de la conservation du rôle biologique d'un gène est généralement réalisé en générant des mutants dépourvus de la fonction du gène chez plusieurs espèces appartenant à des groupes taxonomiques divers.

Étape 5: Proposer un scenario pour le mécanisme de l’évolution du trait

Toutes les étapes précédentes sont combinées au cours de l'étape cinq, produisant ainsi une compréhension holistique de l'évolution moléculaire du trait d'intérêt. Cette inférence est valide en fonction des données disponibles. Des validations expérimentales dans d'autres espèces et le séquençage d'un plus grand nombre de génomes peuvent conduire à des scénarios probables affinés.

Enfin, les auteurs rappellent que l’humilité est nécessaire sur ces sujets car, ne pouvant étudier les espèces existantes qu'au niveau génétique, c’est toujours un simple instantané des phénotypes auxquels l'évolution a donné lieu qui est capturé. C’est dans cet esprit que les chercheurs discutent tout au long de l’article des pièges à éviter lorsqu'ils se lancent dans de telles études, pièges illustrés par des exemples tirés de la littérature.

Voir aussi

Pierre-Marc Delaux & al. Reconstructing trait evolution in plant evo–devo studies. Current Biology 29, R1105–R1121, 2019

Date de modification : 07 juin 2023 | Date de création : 11 février 2020 | Rédaction : Pierre-Marc Delaux & Guillaume Cassiède-Berjon